Je me doutais bien que l’un de mes commentaires, lors de ma collaboration à l’émission Animo diffusée à ICI Radio-Canada Télé, allait créer un peu de controverse, voire choquer quelques éleveurs. Le réalisateur m’en a averti et a même proposé de ne pas diffuser ce segment.
Dans le reportage, j’ai dit qu’« il est de mon désir le plus cher que certains éleveurs cessent de reproduire des chats pour obtenir des caractéristiques physiques précises, faisant fi du comportement de l’animal ou au détriment de ce dernier ». J’ai tenu à ce qu’on diffuse l’extrait, en espérant faire évoluer les choses et sensibiliser les gens à ce genre de pratique.
SOYONS CLAIRS — Que l’on cherche à obtenir des caractéristiques particulières et surtout que l’on souhaite préserver les caractéristiques d’une race est très bien, même nécessaire. Après tout, il faut garder les caractéristiques de chaque race et la majorité des éleveurs sont en accord avec cette pratique. Par contre, lorsque la beauté prend le dessus et que l’on accouple des individus ayant des problèmes de comportement simplement pour obtenir ou préserver une caractéristique physique particulière (souvent pour gagner des concours), là, ça me dérange. Un beau chat qui a des troubles d’anxiété, d’hyperactivité, qui n’est pas sociable ou qui a peur de son ombre, aussi beau soit-il, finit toujours par souffrir émotivement et par rendre ses propriétaires malheureux. De plus, il risque d’être abandonné ou euthanasié.
NE PAS METTRE TOUT LE MONDE DANS LE MÊME BATEAU — Je connais beaucoup d’éleveurs soucieux du comportement de leurs reproducteurs. Certains vont même jusqu’à reproduire un individu qui n’a pas les caractéristiques morphologiques parfaites pour les concours, mais qui est une perle sur le plan du comportement. D’ailleurs, si le comportement des chats était pris en compte dans les concours félins, davantage d’éleveurs s’en soucieraient. Quoiqu’il en soit, les juges et les éleveurs devraient tous avoir suivi une formation en comportement pour bien apprendre à manipuler et à désensibiliser les chats aux stimuli variés caractéristiques de ce type de concours. Malheureusement, c’est rarement le cas.
UNE PROFESSION DIFFICILE — La profession d’éleveur est exigeante. Sur le plan émotif, les éleveurs doivent parfois apprendre à accepter la mort de certains chatons ou même de mères durant la mise bas, ou faire face à diverses maladies. Il peut aussi être difficile de se séparer de certains chatons lors de leur adoption. Les longues expositions félines ont lieu durant les fins de semaine, aux quatre coins du monde. Elles sont pratiquement obligatoires, car c’est souvent le seul moyen de faire du réseautage avec d’autres éleveurs pour procéder à des échanges et varier le bagage génétique des animaux. De plus, je ne connais personne qui puisse vivre uniquement d’une profession reliée aux chats. Il en va de même pour notre équipe d’intervenants en comportement félin. On exerce donc notre métier par passion. Même que les bons éleveurs perdent souvent plus d’argent qu’ils n’en gagnent.
Comme pour chaque profession, il y a des bons et de mauvais éleveurs. J’ai l’impression que bien des gens sont incapables de faire la différence entre les deux. En fait, comme le domaine de l’élevage n’a jamais fait l’objet d’une règlementation, beaucoup de mauvais éleveurs ont vu le jour, ont terni l’image du groupe et ont cessé leur activité. C’est un peu comme les garagistes. Ceux qui profitent de notre ignorance ont altéré la réputation de ceux qui font bien leur travail.
Selon notre analyse, les bons éleveurs gardent les chatons auprès de leur mère au moins jusqu’à leur 12e semaine d’âge. Ils les élèvent en milieu familial, ne les séparent jamais de leur mère, les socialisent et les désensibilisent à de nombreux stimuli ! (Voir notre chronique Choisir un bon chaton chez un bon éleveur.) Si vous êtes un bon éleveur, voyez cette chronique comme une chance de vous démarquer et non comme une critique négative de la profession. Si vos pratiques correspondent à ce que nous prônons, les gens vous contacteront et vous aurez de bonnes réponses à leur fournir. C’est votre chance de vous distinguer !
ENCOURAGER LA FORMATION EN COMPORTEMENT — Dans le même souffle, il ne faut pas tirer à boulets rouges sur les éleveurs qui n’ont pas eu la chance d’apprendre des notions sur le comportement félin. Rappelez-vous qu’il y a très peu d’intervenants en comportement félin au Québec et les formations sur le sujet sont quasi inexistantes. Au lieu de condamner l’ignorance, encouragez les éleveurs à s’intéresser au comportement et à assister à des séminaires.
Je profite de cette tribune pour répondre au commentaire que j’entends le plus souvent de la part des éleveurs : « Ça fait 15 ans que je suis éleveur. Par mon expérience, j’en ai probablement appris plus que n’importe qui ayant suivi une formation en comportement ». Si vous tenez un tel discours, sachez qu’il est vrai que votre expérience vous a probablement donné de bons outils. Cependant, une formation professionnelle en comportement vous permettrait de mieux comprendre la science derrière les agissements des chats, vous permettant ainsi d’ajuster vos pratiques et de les mettre à jour. Je ne compte plus le nombre d’éleveurs qui croyaient en savoir beaucoup sur les chats mais qui, après avoir assisté à l’une de nos formations, m’ont confié qu’ils ne pensaient jamais être ignorants à ce point. C’est tout à fait normal ! Même moi, qui ai suivi plus de 200 heures de formation en comportement, ne cesse de m’étonner chaque fois que je participe à une nouvelle conférence.
POURQUOI LA PROFESSION D’ÉLEVEUR EXISTE-T-ELLE ALORS QUE LES REFUGES SONT PLEINS ? – Sachez que les éleveurs ne causent pas le problème actuel de surpopulation. En fait, la très grande majorité d’entre eux aide à prévenir ce fléau en obligeant la stérilisation des chatons qu’ils vendent. S’il n’y avait pas d’éleveurs, certaines races félines superbes pourraient disparaitre. Les éleveurs préservent des spécimens fabuleux ! Il y a des gens qui choisissent d’adopter un chat de race. D’autres privilégient les chats de refuges. À chacun ses préférences… sans oublier qu’il est même parfois possible d’opter pour les deux !
Sachez que nous proposons aussi un service d’aide aux éleveurs.
Daniel Filion
Président, Éduchateur inc.